Sephora, une enseigne exemplaire et une menace pour les marques
Sephora n’est pas qu’un acteur incontournable de la distribution Parfums, Beauté. C’est beaucoup plus que cela…
C’est également le principal concurrent des marques qu’il distribue sur le long / moyen terme, mais on n’en parlera un peu plus tard.
On ne peut pourtant que se féliciter de son business model en tant que client ou fournisseur.
Du côté client, Sephora est également un formidable territoire d’expérience pour ce client alors que la beauté est un marché très présent sur internet, et les distributeurs ont tout intérêt à intégrer le meilleur des services digitaux à l’expérience émotionnelle du magasin. Séphora se démarque remarquablement avec une gestion optimalisée de « l’omnicanalité » qui fait son succès.
Du côté fournisseur, Sephora a le mérite de faire connaître un grand nombre de nouvelles marques (c’est également un vecteur de communication), de faire croître le CA de la plupart des marques (la croissance de Sephora – et surtout du nombre de magasins – génère de la croissance pour la plupart des marques) et ce, en ayant des relations plutôt intelligentes et objectives avec les fournisseurs au sens où Sephora a une réelle indépendance vis-à-vis des marques du groupe LVMH à qui elle appartient, et par conséquent, a plutôt une ligne de conduite où chaque marque doit gagner sa place en fonction de critères objectifs (CA/Rotation de stock/Positionnement, etc…).
Même si cette situation pourrait changer dans le temps, car on pourrait supposer qu’un des enjeux de Sephora est de devenir un contributeur « indispensable » au sein du groupe LVMH avec rôle tripartite lié à son seul business d’enseigne (ou plutôt de marque enseigne), au Business pour les marques du groupes et à l’émergence de nouvelles marques du groupe tout en affaiblissant la concurrence.
L’enseigne Sephora parait être en tout point exemplaire quant à son modèle économique vertueux qui génère une croissance à deux chiffres et en fait le premier acteur distributeur de la beauté. Le président de LVMH se félicite à juste titre de ces résultats de Sephora au sein de sa branche « Distribution ».
Toujours plus, toujours mieux, avec des innovations permanentes en termes d’expérience client et des magasins très « à l’écoute » des consommateurs et qui savent s’adapter en permanence aux évolutions du comportement d’achat des clients.
Encore plus d’émotion, encore plus de services, encore plus de « nouveauté » dans l’acte d’achat.
Clin d’œil supplémentaire dans le domaine de l’innovation digitale : Sephora a déployé des filtres « snapchat » géo localisés en fonction des temps forts de ses 327 magasins français. Avec la « New Sephora Expérience », faire son shopping beauté devient un véritable jeu.
Les enseignes qui prospéreront et Sephora clairement fait partie de celles-là seront celles qui prendront le virage de l’O2O (online to offline, et offline to online). L’E-commerce et la vente traditionnelle en PDV ne peuvent plus être traités comme deux entités différentes. Sur ce point, Sephora est plus dans une logique moderne et pertinente de fusion plus que de complémentarité, et c’est tant mieux….
Bref, bel exemple de réussite lié à la fois à un business model fort, à une volonté permanente de s’appuyer sur l’expérience client, l’écoute client pour avancer, et me semble-t-il, un management model compatible avec les essais (sans qu’ils soient transformés dans la minute : exemple de Sephora flash Rivoli en 2015). Une spirale vertueuse d’acquisition et de fidélisation de clientèle.
Mais… car il y a toujours un mais, quel est le relais de croissance de Sephora ? En termes de CA, l’enseigne n’est pas partout et son parc de magasins va encore se développer, l’E-commerce va encore continuer à croître et l’E-retail (omnicanalité) va se développer… Donc pas de menaces à court moyen terme.
Quel est le business model de Sephora ? Assez simplement, c’est celui d’un « Brands killer ». La MDD pour générer plus de marge et pour une meilleure communication des valeurs d’enseigne pour plus d’engagement client.
On constate ici que comme beaucoup d’autres enseignes spécialisées (un des meilleurs exemples est Décathlon), le distributeur spécialisé a pour vocation de devenir une marque enseigne avec les dommages collatéraux pour les marques qu’il distribue et la nécessité pour elles à court/moyen et long terme de disposer de leurs propres datas retail.
De plus, une enseigne spécialisée comme Sephora qui devient son propre fournisseur profitera de son retour d’expérience client pour mieux définir ces politiques produits car bien évidement… l’actuelle position de Sephora permet d’obtenir des informations sur les segments, les niches produits en forte croissance, et peuvent être utilisées par Sephora pour les lancements de ses propres lignes, Sephora collection pour exemple. De la même manière, il sera assez simple à Sephora d’adopter une stratégie qui ira de l’usage vers le produit.
En conséquence, les marques sont en danger si elles ne prennent pas leur destin en main.
Un grand nombre d’entre elles sont de plus en plus dépendantes de Sephora pour assurer leur croissance, et elles sont également souvent confrontées à des espaces de vente de plus en plus restreints dans les boutiques du distributeur spécialisé Sephora, donc de plus en plus difficiles pour elles d’exprimer et d’exploiter leur valeur de marque… Raisons pour lesquelles, dans ce contexte, de nombreuses marques cherchent de nouveaux canaux de distribution et de nouveaux relais de croissance. Mais… elles ne peuvent pas se passer de Sephora pour autant et doivent donc faire avec.
Pas question d’être contre Sephora et de livrer une bataille perdue d’avance. Combattre Sephora (au-delà du principe de ne pas se laisser manger) revient rapidement à perdre des parts de marché. Il s’agit plutôt d’être pertinent dans les propositions et positionnements produits, et trouver un bon équilibre/compromis économique en réduisant l’offre à ce qui correspond le mieux à la politique commerciale et marketing de l’enseigne sans mettre en danger la marque qui est forcément présente ailleurs que chez Sephora.
Les marques doivent surfer sur le modèle sans en dépendre. Facile à dire, mais comment ne pas dépendre d’un modèle qui détient beaucoup plus d’informations que vous-même en tant que marque… sur vos clients.
Cela ressemble un peu à une équation impossible ou plus exactement cette situation constitue un casse-tête pour les marques du secteur.
Il n’y a pas de recette miracle, mais des orientations et des pistes qui doivent faire en sorte que mon business model de marque soit de moins en moins dépendant de Sephora. Par conséquent, on peut parler de schéma directeur de transition à mettre en place.
Une première étape qui est : Dans quelle mesure suis-je essentiel à Sephora et pourquoi ? Quelle est ma valeur ajoutée de marque au sein de l’enseigne et que ne pourrait-elle pas faire sans moi ? Est-ce que l’intégralité de ma marque (lignes/gammes) à un sens chez Sephora ? Quel est le réel coût économique de Sephora pour mon entreprise (filiale/consolidé) ? Qu’est-ce que je fais de mieux que Sephora et qu’est-ce que Sephora ne fait pas ou moins bien (pour exemple sur le segment soin, si je fais du service : soins spécifiques cabines, spas, etc…) et que je peux démontrer de manière pertinente et économiquement très profitable dans d’autres circuits de distribution au sens large.
Une seconde étape qui est : Quel est mon business model actuel et mes points de différenciation ? Optimiser le socle de business actuel et le conforter en réalisant un « check » de mes points d’amélioration à contrôler : Agilité et réactivité ou Time to market (essentiellement orienté produit, mais également service) – Prochaines étapes/innovations. Augmentation de la performance commerciale et marketing ou Go to Market – Bonnes structures et personnes/profils en local. Ecosystème Marque – Organisation adéquate Head quarter/En centrale. Et ce, afin de préparer à une bascule de mon business –segmentation de marque pour répondre au plus près au consommateur – ou bien encore –autres circuits et/ou politique « retail » plus affirmée. Cet aspect devant être étudié et mis en œuvre avec des ratios cibles.
Une troisième étape qui est : La constitution et mise en place de mes propres données clients et l’impératif de mieux le connaître pour mieux le servir avec des objectifs quantitatifs et bien entendu qualitatifs (Time table à 3 ans en nombre de clients) pour construire une data base à la fois suffisamment représentative de comportements d’achat, d’attentes clients, et également génératrice de CA (au moins équivalent au delta de risque de perte VS Sephora). Nous parlons bien ici de la transformation digitale des marques nécessaires pour une reprise en main du client sur le court moyen et long terme.
Une quatrième étape qui vise à décroitre ma dépendance à Sephora tout en continuant à commercer avec Sephora avec des produits « ciblés » génériques de marque et des produits nouveaux alternatives de ma marque en fonction de l’analyse étape 1 avec un rapport Marque/Sephora le plus équilibré possible et toujours dans une équation économique cohérente (bien que cela ne soit pas 100% l’essentiel sur le court terme).
Il est bien évident que les grands groupes (L’Oréal Luxe, Estée Lauder, Shiseido, Coty, Puig, pour ne citer qu’eux car j’occulte volontairement le groupe LVMH) connaissent cette problématique et mon propos n’est pas de donner une leçon, mais d’examiner une situation/menace actuelle à laquelle les marques ont à faire face par « le petit bout de la lorgnette du principal distributeur ».
En définitive, cette menace est plurielle car elle suppose également l’émergence de nouveaux entrants dans le secteur, et si l’on sait que les groupes savent gérer les rapports de force, ils ne savent pas nécessairement adapter leurs organisations en fonction de leur portefeuille de marques, et il s’agit bien là de problématique de marque et non pas d’entités plus larges (la notion de groupe intervient dans la capacité de l’écosystème du groupe à apporter une valeur ajoutée à la marque – synergie, financement, back-office, etc… – ou dans la création de plateforme commune aux marques du groupe, mais pas forcément directement dans la gestion au quotidien de la marque et de la relation marque/client).
Le principal schéma directeur doit se faire via la/les marques qui ont chacune une identité et un positionnement et une valeur dans l’esprit du client, et par conséquent, c’est un problème individuel de marque et la réponse également.
Les 4 étapes mentionnées devront se faire simultanément pour être efficaces tout en veillant à ce que chacune d’entre elles soient sous contrôle en gestion mode projet et sous l’impulsion du COMEX et de son président (en référence à l’étape 2). L’idée est réellement d’impliquer toutes les parties prenantes de l’entreprise et de gommer toute réticence à l’égard du changement.
Cet article a été écrit par Thierry Lemaire, DG de transition Luxe et Cosmetique.