La prospective du marché du travail de demain vu par Thierry Lemaire
Par Thierry LEMAIRE, Directeur Général de Transition dans le secteur du luxe.
Cet article s’inspire de l’étrange histoire de Benjamin Button car il effectue un double come-back dans le temps : écrit en 2016, il décrit une projection de la relation que nous aurons au travail en 2028, et revient rétrospectivement sur le mode de relation que nous en avons en 2016.
Nous sommes donc le 2 Mars 2028. Il est 6 heures du matin : je me lève, et mon premier geste, comme chaque matin de la semaine, week-end inclus, est de consulter mon mobile qui contient absolument toutes les informations dont j’ai besoin. Un « bot » m’informe de mon agenda, planning et rendez-vous de la journée ainsi que des news tombées dans la nuit et des propositions de missions (désormais « demandes de transferts »). L’IA -Intelligence artificielle- ayant intégré les émotions depuis plus de 10 ans, les informations dont je prends connaissance chaque matin sont hiérarchisées en fonction du ton de ma voix qui traduit mon humeur du moment.
Mon bot enregistre 5 demandes de transfert dans plusieurs entreprises, qui ont été sélectionnées en fonction des souhaits et informations que j’ai préalablement précisés : mes disponibilités, le nombre de bitcoins (en réalité, le montant de la rémunération), ainsi que la congruence du contenu de la mission à mes attentes.
3 propositions proviennent de Workfactory- et 2 directement de LinkedIn. LinkedIn est la plateforme de l’emploi N°1 et génère 90% des offres. Workfactory est quant à lui le cercle le plus influent et regroupe près de 40% des compétences en France et près de 10% à l’international. Workfactory a été créé en 2016 et LinkedIn en 2003. C’est désormais ce type de combinaison qui gère les emplois en 2028.
Nul besoin d’avoir un CV : il suffit d’avoir des références sur les missions sur lesquelles vous intervenez et les domaines de compétences dans lesquels vous êtes expert ou opérationnel. Un programme réconcilie les demandes des entreprises avec votre « cursus emploi » : pour exemple, vous pouvez désormais être N° 175 sur le ranking « expert expérience client Luxe ». (Votre profil intègre environ 50 expertises pour lesquelles vous êtes reconnu).
J’ai omis de vous préciser que vous n’apparaissez dans ces bases de données essentielles que si vous produisez. Le monde du travail en entreprise est totalement métamorphosé. Les systèmes de recommandations réciproques en ligne ont remplacé les CV et votre activité est le garant de votre emploi, qui est à présent à la carte. Vous êtes motivé, vous produisez ? Alors votre position progresse dans le « ranking ». Si au contraire vous êtes inefficace, vous rétrogradez dans le classement et vous devenez invisible à terme jusqu’à sortir totalement du système.
Ce paysage de l’emploi suppose un juste équilibre entre un cercle comme Workfactory et la plateforme LinkedIn.
Workfactory est un écosystème vivant, actif et vertueux dont je suis un des pionniers en tant que l’un des premiers membres actifs. En 2016, Workfactory était un laboratoire intelligent qui combinait -selon la terminologie de l’époque- management de transition, portage salarial (garantissant une forme de protection sociale essentielle à cette époque), incubation de startup, et bases de données orientées vers l’extérieur permettant de communiquer individuellement et collectivement vers des cibles potentielles d’entreprises.
Il est 8H00 du matin. J’examine les 5 demandes de transfert. Je n’en sélectionne qu’une seule concernant un workshop de 10 jours qui requiert mes compétences pour une marque australienne de « plane tube » (planche qui permet de survoler la mer : un soft surf facile) et qui souhaite s’implanter en France.
Je fais suivre 2 demandes de transfert à 2 amis qui sont compétents dans le domaine. Le cercle et la plateforme d’emploi numérique sont immédiatement informés afin que les « bots » accordent ou pas le transfert, après détermination de l’adéquation ou de la non adéquation du profil des personnes à qui la proposition a été transmise. Un seul prérequis : faire partie du cercle Workfactory.
Je décide de laisser tomber les 2 demandes de transfert restantes : elles resteront donc disponibles sur le marché pour qui souhaitera y répondre.
L’application de la plateforme numérique offre trois boutons qui vous permettent chacun :
• d’Accepter la mission (accepter la demande de transfert). Le bouton « Slide to accept transfert »,
• de Transférer la mission à une personne que vous estimez aussi compétente que vous (transférer la demande de transfert). Le bouton » Slide to forward for new transfert »,
• de Refuser la mission (refusez la demande transfert). Le bouton « Slide to decline transfert ».
Une fois la mission acceptée, vous êtes crédité du nombre de bitcoins automatiquement (de votre côté, aucune opération administrative : contrat de prestation établi automatiquement, taxes perçues par un organe tiers directement) sur votre compte « shadow bank » (pas de tiers bancaire). Votre temps sera consacré à l’étude de la mission et à sa réussite. Et certainement à prendre plus de temps pour vous, vos loisirs et votre famille.
A l’issue de cette mission de 10 jours, mon profil sera alimenté (sous 5 jours) d’un taux de satisfaction qui viendra upgrader ou dégrader mon profil en fonction de la réussite de la mission. Ce taux résultera notamment du reporting quotidien skype avec le donneur d’ordre et de celui en face to face avec le représentant de l’entreprise lors du workshop.
Comment en est-on arrivé là ? Trois grandes tendances se dégagent dont le dénominateur commun est une forme de convergence entre elles :
Une première tendance : Les « slashers ». Entre 2010 et 2015, les slashers cumulaient plusieurs Jobs compte tenu de plusieurs facteurs :
• la nature des offres d’emploi ainsi que l’état du marché de l’emploi lui-même,
• leurs attentes en matière d’autonomie dans l’exercice de leur travail, leur demande d’une réduction du lien hiérarchique,
• l’émergence de l’économie collaborative et la facilité de créer son offre de service.
On peut ajouter à ces facteurs une volonté des générations Y, Z et Z de travailler autrement ainsi que la relative difficulté des plus de 45 ans à être considérés comme compétitifs par le marché de l’emploi (efficience tarif/expérience).
La seconde tendance est venue des réseaux sociaux professionnels. Leur développement au milieu des années 2010 montrait déjà clairement la direction : l’intelligence artificielle deviendrait rapidement capable de mettre en rapport et de réconcilier les besoins des entreprises avec les talents.
La troisième tendance est apparue à l’initiative de entreprises elles-mêmes. Les chaines de valeurs ont été complétement bouleversées dans les années 2010 : à partir de cette période, les entreprises qui fonctionnent sont celles qui ont inventé de nouvelles formes d’organisation et de gouvernance pour s’adapter et fonctionner dans un environnement en perpétuelle mutation. Elles doivent être dynamiques, revoir leur business model pour le rendre plus flexible (plus rentable) et être ouvertes et orientées projet. Des projets qui nécessitent et fédèrent à la fois des talents internes et des talents externes, recrutés à la demande pour le temps du projet. Des entreprises plus agiles qui repensent leurs organisations en fonction de marchés qui évoluent au quotidien et où l’innovation est souvent un facteur discriminant.
Nous sommes le 2 Mars 2028, il est 9H00. Le programme de ma journée est le suivant : je dois rencontrer des collaborateurs Workfactory pour parler d’un projet de tutoriel e-learning sur une plateforme d’e-éducation (les formations dans les écoles ont évolué et le grand changement réside dans l’interactivité permanente entre professeurs d’entreprises et étudiants), puis j’ai prévu de déjeuner avec des amis et de participer ensuite dans l’après-midi à une conférence sur l’influence des climats dans la technologie d’élaboration des vins de Bourgogne et désormais des Hauts de France. Ma soirée est à moi avec ma famille.
J’ai aujourd’hui 68 ans. Si j’observe mon parcours de ces 12 dernières années, je suis ravi d’avoir pris le risque de quitter mon job de Directeur Général (qui ne m’apportait plus de satisfaction personnelle ni de challenge intelligent), lorsque les actionnaires ont refusé de prendre des orientations plus orientées rapport Client/Produit. (Organisation différente, transformation digitale raisonnée en fonction d’un business model plus flexible).
Cette mutation du marché du travail a permis plus de partage et de convergence des talents pour ceux qui le souhaitaient et qui ont actionné les bons leviers au moment opportun pour y arriver. Contrairement à ce qui était annoncé, le digital n’a pas déshumanisé la relation. Cet outil a au contraire apporté une nouvelle pertinence ainsi qu’une nouvelle dynamique dans les intéractions entre les acteurs du monde du travail. Workfactory a permis à beaucoup d’entre nous de rebondir (bien que cela soit une terminologie peu pertinente à mon sens), mais surtout de nous rendre plus compétitifs, informés, et formés tout au long de notre parcours grâce à cette plateforme qui est aussi un lieu de formation permanente. D’être plus intelligents à plusieurs et plus compétents en organisant des cercles ou cartographie de pôles de compétences, destinée aux entreprises qui n’avaient pas auparavant les moyens de recruter plusieurs compétences internes.
Entre temps, cette mutation du travail a entrainé un changement du droit du travail, une refonte des statuts de travailleur indépendant et sur le fond, beaucoup plus de protection sociale, car cela concerne désormais plus de 65% des emplois (34% aux USA en 2016).
Toute ressemblance de Workfactory avec des cercles existant comme Hiworkers et Hopwork, n’est que fortuite.
Thierry LEMAIRE, Directeur Général de transition, Partner du Cabinet immédia!.
immédia! : Cabinet historique de management de transition depuis 1995. Nous intervenons opérationnellement sur des enjeux de transformation, projets et crises, en prenant une fonction clé du Comex de notre Client (Présidence, DG, DRH, DAF, DSI, Dir.Industrielle…).
Nous avons mené 200 missions en France et dans toute l’Europe, auprès de PME et ETI. immédia! c’est 4 700 managers de transition qualifiés, experts d’une fonction, d’un secteur d’activité ou d’une practice, organisé en communauté.