Retour d'expérience d'un manager de transition en tant que DG
Comment êtes-vous devenu manager de transition ?
Un peu par hasard, et dès 1984, ce qui fait de moi un des premiers managers de transition en France. J’avais déjà une assez longue expérience des fonctions de direction générale et je devais prendre la présidence d’une entreprise de chaussures qui se faisait racheter par le groupe anglais Clarks. Or, au dernier moment, pour des motifs politiques, l’affaire est tombée à l’eau. Le groupe français André a été mis sur les rangs et a absorbé l’essentiel de la société. Celle-ci perdait beaucoup d’argent, il fallait licencier presque 20% du personnel et j’avais préparé un plan de redressement. Lorsque le groupe André m’a demandé d’adapter mon plan à leur nouvelle situation, j’ai en fait accepté sans le savoir ma première mission de management de transition et je suis resté dans cet univers qui correspond à mon tempérament.
Vous qui êtes un vétéran de la fonction, comment avez-vous vu le secteur évoluer ?
Il y a eu deux phases. Jusqu’à la fin des années 90, le marché a eu du mal à parvenir à maturité en France. Lorsqu’en 1990-91, j’occupais le poste de président d’Air Littoral pour le compte d’une société hollandaise, alors la 3e entreprise de management de transition des Pays-Bas, le chiffre d’affaires de cette petite société était plus élevé que le chiffre d’affaires de toute la profession en France ! L’état d’esprit français s’est très mal plié à ce genre de prestations de services. On est resté très longtemps avec l’idée que le meilleur directeur général,c’est celui du principal concurrent qu’on cherche à débaucher.On imaginait mal que quelqu’un de pluridisciplinaire, avec des expériences dans d’autres secteurs d’activité, puisse être efficace. Depuis une petite dizaine d’années, le concept arrive à maturité. Presque tous les grands chasseurs de têtes ont créé une filiale spécialisée dans le management de transition. Bien sûr, la France accuse un temps de retard important sur les pays de culture anglo-saxonne dans ce domaine, mais les préjugés disparaissent peu à peu. La façon de travailler évolue : les contraintes du marché s’imposent au détriment de l’appartenance à un réseau professionnel. Le carnet d’adresses joue désormais moins que la performance des produits. Il y a de plus en plus d’acteurs compétents. Il est également moins difficile de trouver une mission, même si ceux qui exercent cette activité en attendant de retrouver un CDI viennent un peu gâcher le métier.
Quel est le profil de ces managers de transition « de vocation » ?
La multiplicité des expériences est primordiale, il faut travailler par esprit d’analogie. Mais ce n’est pas suffisant. Le manager de transition doit être capable d’aller très vite. On n’a pas trois ou quatre mois pour commencer à prendre les bonnes décisions, souvent parce que la trésorerie est exsangue. Attendre quatre mois,c’est risquer le dépôt de bilan. Pour m’immerger dans l’entreprise, je ne me donne pas plus d’un mois. Il faut alors savoir écouter, et de manière intensive. Je vais sur le terrain, je tourne avec tous les corps de métier. En général le personnel est capable d’assez bien diagnostiquer les maux de l’entreprise et souvent même d’apporter des solutions. Il me revient alors de mettre tout ça en musique rapidement, de définir des priorités. Les décisions doivent se prendre dans un contexte qui n’est pas toujours confortable pour certaines approches intellectuelles. Les gens trop rationnels, pondérés, avec des approches techniques, y seraient mal à l’aise car ils n’auraient pas le temps de mettre en place leurs bases de données. Pour un profil lambda de cadre supérieur, c’est souvent négatif. Cela n’a rien à voir avec la qualité professionnelle,il s’agit plutôt d’un type de personnalité, à l’aise dans l’incertitude et d’une grande souplesse. Sur le plan psychologique, il faut également être prêt à assumer des situations parfois dangereuses, surtout lorsqu’on prend un mandat social.
Travailler comme indépendant, n’est-ce pas une certaine forme de précarité ?
Le nombre de postes proposés à un instant donné est réduit, et ils sont toujours à occuper dans l’urgence – il faut être disponible souvent dans les 15 jours. Lorsque le contrat est signé, le manager de transition est hors circuit pendant plusieurs mois, voire un an ou plus. Ces deux contraintes font que la continuité dans l’activité est mathématiquement impossible. Il y a deux moments favorables : le début d’été et le début d’année. Pour peu que cela ne corresponde pas à mon rythme de disponibilité, je peux me retrouver libre pendant plusieurs mois entre deux contrats. Je travaille également de manière privilégiée avec certains cabinets qui peuvent me proposer des missions, me connaissant et évaluant le risque que je représente dans telle ou telle situation. Assurément il existe une indéniable précarité. Au vu de l’insécurité, de l’urgence perpétuelle, des contraintes liées au fait d’être en permanence loin de chez soi, il n’est pas rare qu’on me dise « je ne pourrais pas faire ton métier, c’est trop dur ».
Quand la mission se passe bien, n’êtes-vous pas tenté de rester dans l’entreprise ?
La question ne se pose pas vraiment. Souvent le contrat au départ ne le permet pas. Quand je passe par l’intermédiaire d’un cabinet, je signe avec celui-ci une clause qui m’interdit de traiter les clients en dehors de lui. Et puis, quand les changements ont été opérés et que l’entreprise peut reprendre une activité normale, il peut être utile, psychologiquement, de faire appel à un autre type de personne, qui n’est pas entachée par ce que l’on a fait. Le manager de transition est souvent celui qui va licencier un pourcentage important du personnel,et il n’est pas mauvais pour l’ensemble de l’entreprise de revenir vers un profil plus « soft ». Enfin, passé la phase d’intervention lourde, mon coût reste supérieur à celui d’une direction générale normale, de l’ordre de 25 à 30%, parfois plus. Sur une période de moins de 16 mois, ce surcoût est compensé par l’absence de frais de recrutement ou de fin de contrat. Au-delà, la transition devient de plus en plus chère.Lorsque le calme est revenu, le changement de direction est un choix logique, économiquement et psychologiquement parlant.
Quelle valeur ajoutée du manager de transition justifie cette rémunération ?
En plus des qualités déjà citées, le manager de transition apporte une chose essentielle : un œil neuf. On arrive parfois dans un univers qui se recroqueville sur lui-même parce que cela fait un certain temps que la situation est mauvaise et que chacun rentre dans sa coquille. Le manager de transition va nommer les choses par leur nom et n’aura aucun complexe pour mettre une série de mesures en application rapidement. L’œil neuf vient aussi pallier le manque de vision macro-économique claire des dirigeants en place. En étant trop focalisés sur leur secteur d’activité, ils peuvent parfois tenir des raisonnements faux au regard d’un contexte plus général. D’où l’intérêt d’un certain savoir-faire pluridisciplinaire et pluriculturel.Il est impossible de redresser rapidement une entreprise en n’abordant qu’une partie du problème. Il faut le traiter dans sa globalité. Et puis, il faut pouvoir assumer les effets collatéraux des mesures à prendre pour redresser une entreprise, en termes personnels, de gestion de son image et de sa carrière. De nombreux cadres en poste, par ailleurs très compétents, ne pourraient pas répondre à cette nécessité de l’entreprise.
N’êtes-vous pas confronté fréquemment à des réactions hostiles dans les entreprises où vous intervenez ?
D’une part, toutes les missions ne sont pas liées à des situations négatives. Il s’agit aussi parfois de redéveloppement ou de réorientation stratégique par exemple. Le manager de transition n’arrive pas forcément avec l’image de celui qui va procéder à des réductions d’effectifs drastiques. Quand cela arrive, il est toujours utile de faire oeuvre d’explication et de rechercher, par le dialogue, un plan social accepté et acceptable. La réputation de « coupeur de têtes » peut éventuellement être gênante, mais tout dépend du degré de panique qui existe dans l’entreprise. Lorsque la situation est très délicate et que les gens savent que, si l’on ne fait rien, l’entreprise déposera son bilan dans les six mois, tout le monde est attentif. De plus, j’interviens dans un relatif anonymat. On ne me met pas nécessairement sur le front l’étiquette « tueur ».
Le marché ne souffre-t-il pas d’un certain manque de structure ?
C’est un marché qui arrive doucement à maturité en France depuis dix ans. Pour une profession, dix ans ce n’est rien. En 2008, le management de transition en France n’offre pas encore de sociétés assez connues, comme dans l’audit par exemple. C’est dommage car cela permettrait d’orienter la demande vers le bon prestataire et donc d’éviter ceux qui traversent cette profession de façon temporaire. De ce point de vue, il y a indéniablement un approfondissement à réaliser.